J’ai échangé avec Olivier Laffargue, qui dirige le service des vidéos verticales du Monde pour qu’il nous en livre les coulisses, les process et tous les enseignements qu’il en a tirés. Parce que, pour rappel, Le Monde, c’est 2,2 millions d’abonnés sur Instagram, 1,4 million sur TikTok et 1,4 million d’abonnés sur Snap. Quand même.
Comment est organisée l’équipe et peux-tu nous expliquer le process pour produire une vidéo ?
Le service vidéos verticales (il s’agit ici uniquement des vidéos d’explication et de décryptage, un autre service traite l’actu chaude) est composé d’une douzaine de personnes, qui sont des journalistes « couteaux suisses », qui mènent leur projet de bout en bout : documentation, écriture du script, incarnation, maîtrise d’After Effects et motion design de base.
Chaque journaliste va travailler pendant 3 jours (pour les sujets longs, et 2 jours pour les sujets courts) avec un motion designer et un chef d’édition qui va leur être à 100% affecté, pour faciliter la production et veiller aux standards de qualité.
Quel est selon « le » format signature du Monde ?
On produit aujourd’hui deux types de formats : des formats courts depuis notre lancement sur TikTok en 2020 et des formats longs (3 à 4 minutes) issus de ce qu’on faisait à l’origine sur Snap, au moment où les habitudes des jeunes ont changé et qu’ils se sont massivement tournés vers la vidéo.
Entre les deux, je dirais que notre figure de proue reste le format long : c’est celui dans lequel on fait le plus la démonstration de ce qui nous différencie.
Quels sont pour toi les marqueurs de ce format signature ?
Le premier, c’est le fait de travailler avec un motion designer sur tous les formats.
Le second, c’est la volonté de conserver un format artisanal. On ne cherche pas à fluidifier ou optimiser la production de contenus. Ce qui nous intéresse, c’est la créativité, c’est expérimenter de nouvelles choses. Les vidéos verticales que nous produisons aujourd’hui sont très différentes de ce que nous faisions en 2016, aussi bien dans la manière de penser les sujets que dans la réalisation : nous n’avons jamais arrêté d’apprendre ! On ne se met pas de barrière de format, ni de contrainte forte. Aujourd’hui, on va piocher dans une palette d’outils à notre disposition en fonction des sujets que l’on veut couvrir : motion design, humour, mise en scène, musique, utilisation de jouets, d’objets du quotidien…
Est-ce que vos vidéos sont systématiquement incarnées ?
Presque toujours, oui, par le journaliste en charge du sujet. C’est un choix fort pour humaniser notre travail, pour le rendre moins froid, plus authentique et montrer qui est derrière l’information. Nous filmons systématiquement les vidéos dans nos locaux, pour les montrer, par transparence. Cela nous permet de prendre notre part à la nécessaire éducation aux médias. Au début, sur certaines vidéos, certains commentaires nous demandaient « Mais qu’est-ce que vous faites chez Webedia ? ». On a mis un peu de temps à comprendre mais certains jeunes associaient systématiquement la vision d’un open space à Webedia. On le sait, il y encore du travail pour démystifier la profession de journaliste, encore mal connue et qui ouvre donc la porte à des fantasmes. Et surtout, on s’est aperçus que, sur les réseaux, on s’adressait à un public en demande de plus d’authenticité et plus de transparence : c’est pour cela qu’on s’efforce d’avoir une relation plus horizontale avec notre public.
Justement, quel est le public que vous visez ? Et quels objectifs vous êtes-vous fixés ?
On touche aujourd’hui, en moyenne, sur TikTok et Snap, 10% de moins de 17 ans et 50% de moins de 24 ans. Ce qui est intéressant, c’est qu’on a réalisé une enquête sur notre audience il y a quelques années, début 2017. Sur 800 réponses, seule une dizaine de nos abonnés avait déjà lu Le Monde. On se rend donc bien compte qu’on touche une audience complètement nouvelle pour le média. Notre public sur Instagram est un peu plus âgé (50% de -35 ans) car pendant les années 2010, notre stratégie sur cette plateforme était tournée vers les lecteurs naturels du journal. Aujourd’hui encore, la stratégie y est tournée vers un public plus large.
Notre objectif de long terme, c’est bien évidemment de ramener les internautes vers le journal. C’est le nerf de la guerre, l’enjeu économique de monétisation comme pour tout média. Le but est donc de rencontrer cette nouvelle audience, de nouer un lien de confiance avec elle pour que, plus tard, quand elle s’intéressera à l’actualité, elle se tournera vers Le Monde plutôt que vers la concurrence.
Quels vos indicateurs de performance ? Comment estimez-vous si une vidéo a marché ou non ?
Sur TikTok, l’enjeu est vraiment la découvrabilité, autrement dit que la vidéo soit poussée sur le fil « pour toi », ce qu’on mesure en regardant les sources de trafic, avec l’objectif de dépasser les 80%. On regarde bien évidemment la courbe des abonnements, car cela reste une marque de validation ou non. Et bien sûr, l’engagement reste primordial, avec 2 indicateurs : le time spent (durée de visionnage du contenu) et le drop off (est-ce que les internautes ont lâché et, si oui, à quel moment).
Tu disais que vous essayez de créer un rapport moins vertical avec votre audience. Comment cela se traduit-il concrètement ?
On essaye de faire pas mal de lives vidéo, le dernier en date était d’ailleurs le 18 décembre avec le directeur du journal. On répond à tous les messages privés sur Snap, même si leur volume a beaucoup baissé depuis quelques années. Et on est très attentifs aux commentaires : rebondir sur les commentaires reste très reconnu et apprécié par les internautes. Il arrive d’ailleurs que les commentaires nous donnent des idées de sujets.
Si tu ne devais citer qu’un exemple de vidéo dont tu es particulièrement fier ?
Les vidéos verticales qui marchent le mieux chez nous sont notamment celles qui traitent d’international et de géopolitique. Je me souviens notamment d’un sujet sur la PAC, il y a trois ans, au moment où l’accord cadre était négocié, qui a passé les 700 000 vues et qui avait un vrai impact sur le fond pour expliquer les enjeux.