J’ai pris un café avec Julien Fritsch, qui a coordonné toute la stratégie social media de Paris 2024 pour qu’il nous en livre les coulisses, les process et tous les enseignements qu’il en a tirés.
Raconte-nous comment tu as fixé la stratégie social media de Paris 2024 : quels étaient les objectifs ?
Toute l’équipe réfléchissait aux Jeux dès Tokyo 2020, mais c’est vraiment à l’automne 2023 que nous avons pris le temps de formaliser notre stratégie sur papier. L’objectif était clair : faire différemment. Chez Paris 2024, c’est une habitude. Nous avons donc mis l’accent sur nos différences, sur notre tonalité unique, nos images, et nos angles. Nous avons identifié les moments et les lieux où les émotions seraient les plus fortes à travers toutes les épreuves et les sites. De là, nous nous sommes engagés dans une préparation minutieuse de 7 mois, en cherchant les histoires, les athlètes et les instants qui allaient toucher les cœurs du monde entier.
Combien étiez-vous au sein de l’équipe et sur quels types de postes ?
L’équipe était structurée autour de 5 pôles distincts :
- Le pilotage : management, gestion de projet global, data, planification des posts, validation des contenus et gestion de crise.
- Les experts : des « vétérans » qui alliaient création de contenu et gestion du desk. Leur connaissance de l’environnement olympique leur conférait un rôle de leadership.
- Les créateurs de contenus : nos photographes sur le terrain, chargés de capturer la beauté du sport depuis les tribunes ou en bord de terrain, livrant chaque jour des séries qui sublimaient les épreuves.
- Le desk : spécialistes des punchlines, des templates de médailles, et auteurs des 11 000 posts publiés durant l’été olympique et paralympique.
- Les modérateurs : chargés d’animer la communauté des fans de Paris 2024 et de veiller à l’engagement tout en surveillant les signaux faibles sur nos comptes.
Tu as rejoint Paris 2024 cinq ans avant le début des épreuves : qu’est-ce qui prend autant de temps ?
Dès la fin des Jeux de Tokyo, les regards du monde entier se sont tournés vers nous. Il fallait affirmer nos différences et faire connaître notre projet, ainsi que nos athlètes. Nous devions dévoiler tous les projets internes, une tâche à temps plein. Même si l’impact n’était pas encore celui des Jeux, nous avons multiplié les moments forts en amont pour construire notre communauté de fans des Jeux et faire connaitre Paris 2024.
Quelles étaient les contraintes pour couvrir l’événement ? Raconte-nous ce que l’on n’imagine pas vu de l’extérieur.
L’environnement olympique est extrêmement contraignant, c’est l’un des projets les plus complexes que j’ai eu à gérer. Deux exemples illustrent bien cela :
- Aucune vidéo des Jeux n’était accessible pour nous. Toutes les images sportives appartiennent exclusivement aux diffuseurs, ce qui complique la création de contenu sur des plateformes comme TikTok ou Reels.
- L’accès aux athlètes n’était pas garanti. En amont des Jeux, malgré les efforts de nos équipes sport, nous n’avions aucun athlète sous contrat pour créer du contenu. Pendant les Jeux, ils étaient encore moins disponibles. Vu de l’extérieur, on ne comprend pas forcément que l’on n’ait pas eu accès à leurs coulisses.
Comment avez-vous contourné ces contraintes ?
Après avoir accepté certaines limitations, nous avons recentré notre stratégie. Notre rôle en tant que @Paris 2024 était de raconter une histoire différente de celles des médias comme l’Équipe ou Eurosport. Nous en sommes arrivés à une conclusion simple : nous seuls, en tant qu’organisateurs, pouvions raconter la grande histoire de ces Jeux. Celle qui lie les performances des athlètes, les décors majestueux, la célébration dans la ville, et l’héritage des Jeux. Il ne nous restait plus qu’à le mettre en image et à tenir le marathon.
Quelle est l’opération dont tu es le plus fier ?
Nous avons réuni une équipe de créateurs et photographes avec une approche artistique vraiment novatrice pour les Jeux. Par exemple, les collages de Geoffray Lowe, découvert lors d’un meeting d’athlétisme, ont marqué les esprits. Bilal Aouffen, notre photographe, a réalisé la photo de Montmartre comparée à un tableau de Monet, qui a été reprise par le président Macron.
Personnellement, je suis particulièrement fier d’une création qui a circulé après la double victoire de Léon Marchand le 31 juillet. J’avais imaginé utiliser l’identification ReCaptcha pour mettre en avant un « robot » des Jeux. Il ne manquait que le héros, Léon l’a incarné. La création a fait le tour des médias, et même l’entraîneur de Léon s’est marré.
Une opération que vous n’avez pas pu réaliser mais que tu aurais aimé concrétiser ?
J’aurais adoré concrétiser un projet Twitch au Parc des Champions, face à la Tour Eiffel, avec des twitcheurs du monde entier. Un castings de 10 talents, 5 français et 5 internationaux représentants leur continent (comme les anneaux olympiques). Cela aurait permis de toucher une nouvelle audience et de mettre en avant des créateurs talentueux. J’avais aussi en tête une zone pour les demandes en mariage durant les Jeux, mais cela n’a pas pu se réaliser, un peu trop romantique peut-être !
Comment innove-t-on sur la couverture d’un événement aussi important ?
Après avoir défini notre périmètre d’action, nous avons cherché l’inspiration partout. Nous avons rassemblé une équipe de talents, et c’est vraiment le regard que nous avons porté sur ces Jeux qui a fait la différence. Par exemple, ne pas avoir accès à la ligne d’arrivée ne nous a pas arrêtés. Nous avons capturé des moments uniques depuis les tribunes, avec les fans et les familles. De nos frustrations, nous avons tiré une force différenciatrice.
Quels enseignements as-tu tirés de cette expérience ?
Lors d’une conférence de l’association Analog Sport en 2021, le photographe OdieuxBoby a partagé un conseil qui m’a marqué : « Regardez toujours dans l’angle mort ». Si tout le monde fixe la ligne d’arrivée, regardez le public, les perdants, ou ce qui se passe juste après. C’est en regardant ailleurs que nous avons pu raconter une histoire différente de ces Jeux.